Aller au contenu principal
Description

Jean-François Soussana, directeur de recherche à l’INRAE, discute dans cette vidéo des relations entre le changement climatique et la sécurité alimentaire. Il donne tout d'abord un aperçu des problématiques actuelles liées à l'agriculture, puis il montre comment l'évolution du climat pourrait accroître l'insécurité alimentaire. Il termine en mettant en lumière quelques options pour transformer les systèmes alimentaires.

Objectifs d'apprentissage :

- Identifier les enjeux actuels liés aux systèmes alimentaires
- Associer des scénarios d'émissions de gaz à effet de serre à des risques en matière de sécurité alimentaire
- Identifier les stratégies à bénéfices multiples en matière d'agriculture durable

État
  • Labellisé
Langues
  • Français
Licence Creative Commons
  • Partage des conditions à l'identique
  • Pas d'utilisation commerciale
  • Pas de modification
Nature pédagogique
  • Cours
Niveau
  • Bac+1
  • Bac+2
Objectifs de Développement Durable
  • 13. Lutte contre le changement climatique
  • 3. Bonne santé et bien-être
Thèmes
  • Alimentation
  • Atténuation, Adaptation & Résilience
  • Ecosystèmes et biodiversité
  • Enjeux Climat/Biodiversité
Types
  • Grain audiovisuel
Mots-clés
changement climatiquesécurité alimentaireagriculltureclimatagriculture durablegaz à effet de serreécosystèmesérosionsolsalimentationnutritionsantébioénergie
Changement climatique et santé humaine
Changement climatique et santé humaine
Atténuer le changement climatique : quels défis économiques ?
Atténuer le changement climatique : quels défis économiques ?
L'Europe face au défi du changement climatique
L'Europe face au défi du changement climatique
Changements climatiques en Méditerranée
Changements climatiques en Méditerranée
Le changement climatique : une réalité en Normandie
Le changement climatique : une réalité en Normandie
Contributeurs

Soussana Jean-François

directeur de recherche , INRAE - Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement

Télécharger le fichier

Changement climatique, agriculture et sécurité alimentaire

Jean-François SOUSSANA, Directeur de recherche à l’INRAE

1. La dégradation des terres aujourd’hui
Aujourd’hui, la pression d’utilisation des terres par l’homme est importante. Elle représente plus de 70 % de la surface des terres libres de glace. Cela correspond aux infrastructures, mais surtout aux terres cultivées (environ 10 %), aux pâturages (environ 35 %), et aux plantations forestières (environ 20 %). De ce fait, il reste comme superficie peu utilisée par l’homme, avec des écosystèmes qui sont peu perturbés, simplement 28 à 30 % des terres libres de glace.

Nous utilisons donc finalement une grande partie de la productivité primaire nette des écosystèmes continentaux. C’est une utilisation de l’ordre d’un quart à un tiers de la photosynthèse de cette productivité primaire pour l’alimentation, pour les fibres, le bois et l’énergie.

Par ailleurs, un quart de la surface terrestre libre de glace est sujette à des dégradations. Les sols se dégradent, c’est le cas avec l’érosion, qui se propage notamment en agriculture, avec des rythmes d’érosion qui sont de 10 à 100 fois plus importants que le taux de formation du sol. Le sol est un capital qui ne se renouvelle pas dans ces conditions, puisqu’il faudrait plus de temps pour le renouveler et nous l’utilisons trop rapidement.

Le changement climatique va s’introduire dans ce contexte où il y a déjà des pressions anthropiques fortes en aggravant la dégradation des sols, en particulier dans les zones côtières basses, mais aussi les deltas fluviaux, ceci du fait de l’intrusion des eaux marines dans les zones côtières et également des phénomènes d’inondation dans les zones fluviales, avec des phénomènes d’érosion renforcés. C’est le cas également pour les zones arides, où les alternances de sécheresse et de précipitations fortes vont renforcer la dégradation des terres. Et ceci concerne aussi les zones de pergélisol, là où les sols sont toujours gelés et là où ils vont commencer à dégeler et être exposés à la dégradation.

2. Les impacts déjà visibles sur la sécurité alimentaire
Le changement climatique a déjà affecté la sécurité alimentaire. On le voit du fait d’extrêmes climatiques, avec des régimes de précipitations fortes, une fréquence accrue de sécheresse, et par conséquent des expositions renforcées des populations à des périodes de famine et à des périodes de sous-nutrition. Dans les régions tropicales, on observe que les rendements des cultures diminuent. C’est le cas pour le maïs et le blé. C’est quelque chose qui se déroule avec des alternances d’événements extrêmes qui font chuter ces rendements, puis de périodes plus favorables.

On va trouver aussi des contre-exemples. Lorsqu’on est à des latitudes élevées, dans des climats froids, on observe que sous l’effet d’un réchauffement graduel, le rendement peut augmenter. C’est ce qui a été observé ces dernières décennies.

Par ailleurs, il y a des impacts sur l’élevage. Il y a une mortalité des cheptels. Dans la corne de l’Afrique, par exemple, c’est quelque chose que l’on connaissait, mais qui se renforce avec le changement climatique. Les systèmes pastoraux en Afrique sont très affectés, et on observe, dans beaucoup de régions du monde, une baisse de la productivité des élevages et de la croissance des animaux.

Le spectre des ravageurs et des maladies évolue. Dans les zones qui se réchauffent, il y a de nouveaux insectes, de nouveaux parasites, de nouvelles maladies qui arrivent et qui se développent puisque les hivers sont très doux. Cela nécessite de renforcer la protection des cultures : c’est donc là aussi un problème pour l’agriculture et la sécurité alimentaire.

La stabilité de l’approvisionnement alimentaire va devenir incertaine avec l’augmentation du changement climatique.

C’est quelque chose qu’il faut vraiment regarder, puisque nous avons aujourd’hui, avec un réchauffement qui n’atteint pas encore 1,5 degré, déjà des périodes de famine qui peuvent toucher des populations du fait des sécheresses, du fait du renforcement de l’insécurité alimentaire. Cela entraîne aussi des déplacements de population, des migrations.

3. Projections et risques
Lorsqu’on va aller vers un réchauffement plus élevé, de l’ordre de 2°C au niveau mondial, plusieurs régions du monde vont être touchées simultanément. Cela veut dire que cela va créer, au niveau régional, des carences au niveau alimentaire, une sous-nutrition, et donc des chocs qui vont avoir une ampleur régionale. Si on va vers un réchauffement plus élevé, de l’ordre de 3°C à 4°C, c’est tout le système alimentaire mondial qui est menacé. On ne peut plus garantir que l’approvisionnement alimentaire pourra être maintenu dans ces conditions.

Ce sont des phénomènes que l’on essaye d’observer au niveau économique également, et l’on a, en médiane des modèles économiques, une augmentation de 7 % des prix des denrées alimentaires d’ici à 2050, mais il y a beaucoup de variation entre ces modèles encore.

Un autre aspect est le risque pour la nutrition, avec les carences en micronutriments (ex : zinc, fer) qui touchent aujourd’hui pratiquement 1 milliard de personnes. L’accroissement du CO₂ atmosphérique va diluer les micronutriments dans les grains, dans les végétaux, et va finalement renforcer ces carences, qui touchent déjà une bonne partie de la population mondiale.

4. Quelles réponses ?
Dans le cadre de l’adaptation et de l’atténuation, il est possible de faire beaucoup de choses. Certaines de ces options de réponse peuvent aussi contribuer à d’autres enjeux, comme lutter contre la désertification et la dégradation des terres et améliorer la sécurité alimentaire. Ce potentiel est tout particulièrement important pour l’atténuation des émissions. Ces émissions liées à l’agriculture représentent environ un tiers des émissions totales de gaz à effet de serre d’origine anthropique. Il y a trois principales options :

  • Utiliser le potentiel technique des options d’atténuation pour les cultures, les élevages, en introduisant par exemple l’agroforesterie. Cela représente plusieurs gigatonnes de CO₂ par an d’ici à 2050, ce qui est tout à fait important.
  • Lutter contre les pertes et les gaspillages, qui contribuent à 8 à 10 % des émissions anthropiques de gaz à effet de serre, sachant qu’aujourd’hui, près de 30 % de la production alimentaire est perdue ou gaspillée. Elle est perdue surtout dans les pays du Sud, puisqu’il y a des problèmes de logistique, de stockage. Elle est gaspillée tout particulièrement dans les pays riches dans lesquels on va perdre une partie de l’alimentation qui n’est pas consommée.
  • Agir par la diversification des régimes alimentaires. On a aujourd’hui des excès, dans les pays de l’OCDE, pour la consommation, par exemple, de viande. Il y a un problème de nutrition avec cette consommation de viande, il y a des risques pour la santé lorsqu’elle est excessive. Si on abaisse cette consommation, si on diversifie l’alimentation, avec plus de fruits, de légumes, de protéagineux, de noix, on peut avoir un rééquilibrage et des effets positifs pour la santé. Et cela va s’accompagner de changements en agriculture, avec des systèmes intégrés, des assolements diversifiés et des élevages qui peuvent être résilients et à faible émissions. C’est donc un message : si on peut rééquilibrer les régimes alimentaires, si on peut aller vers des cobénéfices pour la santé, on aura des transitions alimentaires qui pourraient libérer des millions de kilomètres carrés de terres et apporter une atténuation des émissions qui pourrait être importante. Pour bien l’expliquer, il faut mentionner qu’une grosse partie des productions végétales sont aujourd’hui transformées par les élevages, avec une efficience de transformation qui est assez faible. Si vous consommez directement des produits végétaux, vous sautez l’étape élevage, vous évitez des émissions de gaz à effet de serre et vous avez des systèmes alimentaires moins émetteurs et avec des cobénéfices pour la santé.

5. Recherche de cobénéfices
Les réponses intégratives, qui peuvent apporter des cobénéfices, ont été évaluées dans le rapport spécial du GIEC sur l’occupation des terres.

C’est un tableau (ci-dessus) dans lequel on trouve, à gauche, la nature des options : en agriculture, pour les forêts, pour les sols, pour les autres écosystèmes, comme les zones humides, les tourbières. On a dans les colonnes les effets. Lorsqu’ils sont en bleu, ils sont positifs et ce sont des cobénéfices pour l’atténuation, l’adaptation, la dégradation des terres, la sécurité alimentaire, la biodiversité, les ressources en eau. Il y a beaucoup de bleu dans ce tableau et c’est une bonne nouvelle.

On peut déployer ces options. Vous avez des options, par exemple, sur l’augmentation du carbone organique du sol, qui sont vertueuses pour tous les enjeux. On peut restaurer également des écosystèmes, on peut avoir des options d’amélioration de la gestion des cultures, des élevages. On peut aussi lutter contre les incendies.

Il y a une exception en bas du tableau, avec beaucoup de cases en orange. Il s’agit des bioénergies. En effet, si on déploie les bioénergies à grande échelle, par exemple avec des cultures énergétiques, qui sont le plus souvent des monocultures, ou en faisant du reboisement à très grande échelle, les effets vont être négatifs d’une part pour la biodiversité et d’autre part pour la sécurité alimentaire puisqu’on va prendre des terres qui initialement avaient une vocation alimentaire. Il y a donc des limites à ce qu’on peut faire avec ces bioénergies, de l’ordre de 1 million de kilomètres carrés si la population est importante, et jusqu’à 4 millions de kilomètres carrés si la croissance de la population est plus faible et si on a de meilleures politiques environnementales pour limites les effets négatifs de ces bioénergies.